AHMED, LE GAZAOUI / Ziad MEDOUKH
À Ahmed Amassi, jeune Gazaoui du camp de Jabalya,tué le 22 septembre 2013 par des balles israéliennes, en pleine trêve.
Une douce matinée printanière
Réveille le camp de réfugiés
Les premières lueurs de l'aube bleue,
Les gazouillis des oiseaux,
Le petit matin trace un trait rouge
Qui s'étire sur la ligne d'horizon,
Maison aux murs de pierres millénaires,
L'odeur généreuse du café noir de sa mère
Mélangé au parfum doucereux de la cardamone
Le réveille.
Ahmed ouvre l'étroite fenêtre.
Il observe les premières fraîcheurs
Annonciatrices du matin.
Quinze longues années de précarité,
D'attente,
De vie entre parenthèses.
Réfugiés à moins de cent kilomètres
De son village d'origine.
Quinze longues années à subir
Davantage de restrictions et d'humiliations.
Les ultimes larmes de son cœur
Puisées dans les tréfonds de son malheur,
Des années que ça dure.
Les yeux d'Ahmed sont hypnotisés
Par ces adversaires insaisissables
Ils s'engouffrent dans la pièce étroite
Partagée avec tant de ses frères
Loin des désillusions et de la fatalité
Qui s'installent dans l'esprit collectif des réfugiés.
Seule la flamme de l'espoir l'a maintenu en vie.
Un rayon de soleil réchauffe
L'atmosphère fraîche de la matinée
En attendant des jours meilleurs.
Espoir réduit en poussière.
Dans une impasse étroite du camp
Les immeubles disgracieux des quartiers alentour
Entassés les uns contre les autres,
Des rues et des maisons entières englouties
Par des monstres affamés, entourés d'une
infranchissable
Barrière métallique de sécurité hérissée de miradors
L'armée a crée un gigantesque no man's land
De plusieurs centaines de mètres.
Ahmed se dirige vers les ruelles du camp
Sous les regards brûlants des martyrs
Figés dans leur héroïque éternité
Sur les grandes affiches qui surplombent les rues.
Âgé de quinze ans, il est devenu adulte d'un seul coup,
Brusquement, sans transition,
Éloigné des habitudes d'adolescent.
En fait on grandit vite en Palestine.
Un silence parfait – cristallin – étouffant
Envahit les alentours.
Il prend dans sa main moite la main malingre de sa mère.
Il voit les longs nuages de poussière
Soulevés par les déplacements des blindés israéliens.
Des coups de feu crépitent au loin.
Un gigantesque bulldozer vient de commencer
Sa macabre besogne :
Écraser l'olivier le symbole de la paix,
Le déraciner,
Le renverser,
L'étouffer et l'enterrer.
Le désespoir est à son comble.
Les murs et les fenêtres tremblent un instant.
Ses yeux vagabondent Vers les citronniers et les oliviers du jardin
Touchés par les tirs.
Ces arbres s'accrochent aux bras de leurs racines
Comme le nouveau-né au ventre maternel.
Son cœur est transpercé d'une fine pointe d'angoisse
Angoisse de plus en plus oppressante.
Les soldats postés dans les miradors ouvrent le feu.
Ahmed est déjà par terre.
Son sang transperce l'abîme.
Victime d'un sniper qui vide toutes les balles
De son chargeur dans le corps inerte de l'adolescent.
Sans raison et sans précipitation =
Avec la précision d'un horloger.
Un corps ravagé – déchiqueté – outragé
Par la haine d'un barbare Caché derrière un mirador
dans son no man's land
Un sifflement strident qui s'atténue...
Il esquisse un sourire :
Confusion des sens, valse des souvenirs,
Tourbillons d'émotions, des heures au parfum d'infini.
Il lève les yeux au ciel.
Quelle honte et quelle lâcheté !
Dix balles pour abattre une simple branche d'olivier,
Pour tuer un jeune innocent,
Pour anéantir une fleur de jasmin,
Une plante de lumière !
La lumière de la vie
La lumière de Gaza
La lumière de la Palestine
La lumière de la Paix
La lumière de l'Espoir !
Ce poème a été récompensé par le 2ème Prix au Concours Europoésie 2013.
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Ziad MEDOUKH, poète palestinien, professeur de français, doctorat en sciences du langage, ambassadeu 20/10/2016 20:15