Mardi 14 février 2017... une nuit de folie... une Saint Valentin au cœur brisé...
Je ne l'ai pas quitté. Toute la nuit à son chevet, je l'ai entendu délirer, tenir des propos incohérents, un groupe allait venir le chercher pour faire du ski, tout dans ses paroles se heurtaient, se mélangeaient, présent et actions du passé, il hurlait le nom de ma petite-fille en plusieurs fois, celui de ma fille et de mon fils, toute sortes de discours sortaient de sa bouche ou comme :
–Passez-moi ma timbrée de femme.
Maintenant il se voit dans un magasin et si je lui dis qu'il est à la maison, dans son lit... il me traite de timbrée.
Il se voit dans un camion, d'ailleurs il y a une attache pour pouvoir s'en aller, dans un camping-car (le passé) ou dans l'ambulance !
Il parle à une quantité de gens et il les voit autour de lui. Il les appelle. Il pense que les infirmiers sont deux, que l'un d'entre-eux fréquente ma fille et que lui est bien au courant. Il ferait battre un régiment tant il énonce de bêtises.
Il se plaint d'énormes maux de tête et je pense que son œdème cérébral a bougé et affecte ses facultés cognitives... peut-être le 9 février lors du voyage au CHRU de Brest où nous avons été très bousculés pendant le transport. Ā présent nous voilà dans une belle galère !
Au matin, lessivée je file dans la chambre à huit hures. Je n'en peux plus de le voir plongé dans cet état, lui l'architecte d'exécution au fort QI...
Je m'endors jusqu'à neuf heures trente où je découvre Véronique en plein travail à la cuisine et la présence de l'infirmier occupé autour de mon époux. Je lui demande quel est ce nouveau cachet que je découvre dans le pilulier, rien d'autre que son cachet pour la prostate, eh bien on a oublié de le lui mettre car je ne l'avais pas vu depuis bien longtemps...
Après mes soins, je m'habille et je vais en cuisine préparer le repas de midi : boudin noir aux pommes. Maurice mange sa portion... puis rien d'autre.
Aujourd'hui, Il ne cesse de continuer ses crises où il ne s'arrête pas de parler dans un désordre épouvantable. Il ne reconnaît plus les zapettes du lit, de la télévision, confond tout, ne parvient pas à démarrer l'écran de TV, cherche dans le vide le bol que je lui tends, sa boisson dans le canard... il ne les voit pas. Il mime le moment où il mange sans n'avoir ni cuillère, ni fourchette, ni nourriture devant lui... c'est épouvantable ! Bref, un méli, mélo de paroles incohérentes et de gestes incongrus. Il me rend le téléphone portable que je range sur mon bureau et que finalement il cherche de partout... etc...
Dans la nuit, il a arraché son PICCline, je n'ai pu que le constater lorsque j'ai dû lui remettre sa lunette d'oxygène qu'il avait retirée par sept ou huit fois... et dans la journée encore, deux fois le matin, une fois devant le médecin où finalement il s'étouffe fortement et une autre fois du temps que j'étais penchée sur l'ordinateur.
Tout cela sans trêve, ni repos, il cause même dans son sommeil. Un grand soleil éclabousse la véranda.
Le docteur remplaçant que j'aime et estime tout particulièrement vient le visiter. Il ne peut que constater la dégradation de son état de santé. Il attend le résultat de la réunion d'hier après-midi avec 'Betek Pen'. Comme je lui dis mon souci qu'il ait arraché le PICC line, il me dit qu'ils lui feront les doses de morphine en piqûre sous cutanée. Il remplace le médicament pour la prostate, donc nous devrons le changer. Il me confie qu'il attend l'appel de 'Betek-Pen'. Puis il nous quitte.
J'ai téléphoné à l'assistante sociale de 'Betek Pen', et une infirmière du réseau m'appelle pour me demander si nous serions d'accord pour une hospitalisation en soins palliatifs à l'hôpital de Douarnenez. Le médecin remplaçant et celui des soins palliatifs seraient d'accord pour une hospitalisation de deux jours, jeudi et vendredi. Elle me laisse un peu de temps pour réfléchir. J'en parle à Maurice, il est tout de suite d'accord, il n'en peut plus de cette souffrance extrême, il veut être soulagé, il veut que son martyr, son supplice se termine. Je dois fournir au service la toute dernière ordonnance et aussi les vœux de Maurice pour ne recevoir aucun acharnement thérapeutique, le Droit de mourir dans la dignité.
Jean-François, l'infirmier arrive et nous lui parlons de tout cela. Le médecin a changé son remède pour la prostate et il va le chercher à la pharmacie. Il revient pour le mettre dans le pilulier. Puis il se retire.
Le médecin me rappelle. Je trouverai demain dans la boîte aux patients un bon de transport et l'ordonnance pour l'hôpital.
L'état de Maurice est critique, son cerveau en ébullition. Après les soins, il se met à parler tout seul sans s'énerver comme s'il parlait au téléphone à un ami et cela dure des heures.
Le moment du repas arrive. Je lui demande ce qui lui ferai plaisir. Il me réclame deux œufs durs et un peu de riz au lait. C'est étonnant qu'il me comprenne pour le repas, car le reste du temps quoi que je lui dise, quoi que je lui demande il n'est plus là... il continue de parler dans le vide très fort de tout et de rien. Il ne parvient plus à saisir ce que je lui tends... c'est curieux, on dirait qu'il ne voit plus !
Cet après-midi, il se tenait cramponné à deux mains sur la potence car il voyait son lit tomber et s'écarter. Lorsque je venais vers lui, il me disait :
–Fais attention il y a un trou, tu vas tomber, tu vas tomber !
Quand je lui expliquais que non, il ne me croyait pas et j'avais tort ! Il ne supporte pas que je dise le contraire et lui énonce la vérité. Pour conclure, il n'est plus là ! Depuis ce matin, il n'arrive pas à comprendre qu'il est dans son lit, il tente même de se lever et il s'aperçoit très vite qu'il ne le peut pas. Il enrage.
Son esprit se trouve altéré, très confus, ses propos totalement déconnectés, embrouillés, en tous sens. Où tout cela va-t-il nous mener ?
La prochaine nuit s'annonce hyper difficile, je peux m'accrocher ! Je vais rester dans le fauteuil comme la nuit dernière et au matin je tâcherai de retrouver mon lit.
Cet après-midi entre deux occupations, j'ai pu transmettre deux de mes écrits ' Ils se noient... là' et 'Alep, ton cri monte au ciel' (texte qui avait été lu à la marche 'des lampes dans la nuit de l'indifférence') sur le site 'De l'humain pour les migrands' de Jean Leynoz.