*Lauréate du 1er Prix de l'Herbe Rouge, du 1er Prix du Virgile Travesti, du 2ème Prix du Chèvrefeuille décernés par le Concours International de Littérature 'Les Cordées'...
Samedi 6 mai 2017... Maurice s'enlise à nouveau... journal d'une nuit...
Nous avons dîné gentiment près de son lit comme chaque midi et soir. Puis éreintés nous nous sommes endormis vers vingt-et-une heures trente... jusqu'à une heure trente où je l'entends parler fort dans son sommeil.
D'une voix changée par l'oxygène, incompréhensible par moment, il parle et répond à une personne imaginaire ou il déroule un film comme un cauchemar, ou il me cause, ou il se plaint, ou il répond. Il dit son ras-le-bol, annonce qu'il veut marcher, commente ses idées, interpelle, râle, rouspète interrompu par des ronflements.
Il m'appelle fort, il a soif. Je me réveille abrutie de chaleur, je me suis endormie avec ma robe de chambre sous ma grosse couette. J'ai les joues en feu. Je lui sers à boire, à moi aussi. La tête coincée dans la barrière de gauche et les pieds pendants dans le vide retenus par la barrière de droite, cela n'est guère facile pour boire malgré son canard.
Il se sent bien mal installé de la sorte. Il veut retirer son coussin. Je lui remets en place. Je tente de ranger le traversin le long de la barrière de droite qui sert à le caler, mais il ne tient pas et ses jambes retombent. Sa jambe gauche opérée demeure inerte versée du côté gauche avec son pied recroquevillé depuis le mois de janvier. C'est bien triste de le voir ainsi chaque jour depuis bientôt huit mois !
Une nouvelle fois, je le fais boire puis il replonge dans ce sommeil hanté de paroles... cela doit l'épuiser de parler ainsi sans pose... il recommence comme au début du mois de mars avant sa seconde hospitalisation de quatorze jours en USP à l'hôpital de Douarnenez. Il parlait ainsi toute une nuit, toute une journée et toute une nuit et la journée suivante il dormait profondément, si bien que ce faisant il ne mangeait plus.
Cela faisait suite tout comme en février à de violents maux de tête dus à son œdème cérébral... mais pour les médecins de Douarnenez il n'a pas de problème au cerveau ! ! ! Il ne peut en être autrement lorsque l'on ne sait pas lire un scanner ! Pourquoi dès lors que je l'ai fait envoyé à l'hôpital de quimper en octobre 2014, les médecins ont été épouvantés par leur découverte et transféré immédiatement à l'hôpital de Brest pour une double trépanation du cerveau (sans anesthésie ! ! !) pour un AVC, un caillot gros comme deux pouces et une terrible hémorragie cérébrale d'où après cette intervention chirurgicale musclée il demeure encore la moitié de cet œdème... et l'on sait depuis que ce fut l'engrenage de misères plus terrifiantes les unes que les autres ! Nous avions déjà été bien servis depuis 2001 suite à son AVC !... 2002... 2009... etc... et tant et tant d'opérations (61 ! Un record ?...).
Je ne parviens plus à me rendormir... Maurice dans son lit continue ses palabres et du coup je vais sur l'ordinateur écrire un peu. En fait depuis son retour à la maison, je n'écris plus que très peu de temps... plus assez disponible, complètement absorbée par ses soins et la tenue de la maison. Fort heureusement mes auxiliaires de vie pour quelques heures le matin me rendent un immense service car je suis acculée à ne plus pouvoir me servir de mes mains, les transferts deviennent de plus en plus difficiles car je ne tiens pas debout sans risquer de tomber, et la douleur s'est installée durablement dans tout mon corps jour et nuit.
Pendant que j'écris Maurice passe par tous les cris de sa souffrance. Il dit qu'il ne veut plus souffrir, il respire mal, fort et saccadé. Le fournisseur est passé le 4 mai pour lui changer l'extracteur d'oxygène qui fait beaucoup moins de bruit dans toute la maison et vérifier les appareillages. Il lui conseille de porter son respirateur, ce n'est pas la volonté qui lui manque mais il n'en a malheureusement plus la force depuis sa double trépanation et plus encore maintenant au fond de son lit depuis tant de mois. La note électrique risque une fois de plus d'être salée... entre l'extracteur, le lit médicalisé, le matelas à air, le chargement de mon fauteuil roulant, les deux à trois lessives par jour, etc... etc...
Maurice poursuit ses paroles et ses gémissements. Dans son sommeil il dit encore :
–Je n'en peux plus, je n'en peux plus, puis il ronfle trois coups et reparle à son interlocuteur invisible.
Sa situation est véritablement inhumaine... et nous ne sommes pas prêts de faire avancer les choses dans ce domaine en France. Nous sommes pour le Droit de mourir dans la dignité, de rester maître de sa vie, de son corps... mais quand est-il ? Juste le droit de subir la mort atroce et lente à petit feu dans les pires souffrances... en soins palliatifs... de jolis mots qui cache une belle hypocrisie. Tout ce que l'on voit autour de nous est effarant ! Jean-Luc Mélenchon a mis dans son programme le droit au suicide assisté, malheureusement maintenant ce désir n'est pas prêt de voir le jour.
Voilà trois quarts d'heure que je suis installée sur l'ordinateur, il se réveille brusquement dans des cris de douleur et de démangeaisons... en fauteuil manuel je roule jusqu'au bord du lit, je me mets difficilement debout où je demeure très instable sur mes jambes. J'éclaire la pièce. Il est totalement coincé entre les deux barrières. Je retire les draps, son coussin et descend sa tête de lit.
Il me dit :
–Je veux mourir, je veux me tuer, apporte-moi le fusil !
–Mais chéri, nous n'avons pas de fusil, tu le sais bien !
–Ah bon, mais ils m'ont dit que je n'avais qu'à mettre des pièces et j'avais un fusil pour me tuer !
–Mais qu'est-ce que tu dis, qui t'a dit ça...!
–Les juifs !... Bon, ben je vais me pendre au cou de la girafe, là !
–Le cou de la girafe ? Mais quelle girafe, Maurice ?
–Ben celle-la là... et il pointe du doigt le lampadaire sous lequel se trouve pendu une sorcière... il y a une cinquantaine de sorcières suspendues un peu partout dans la maison, sans compter les nains et les fées.
–Mais tu sais bien que c'est le lampadaire avec une sorcière dessous !... Il ne sait plus quoi répondre.
Il réussit l'énorme effort de se tourner du côté droit et de se remonter dans le lit... mais il perd sa lunette d'oxygène et étouffe tout de suite. Je dois la récupérer rapidement, elle a glissée au sol. Je lui passe et il parvient à la remettre. Je me dépêche de lui masser sa cuisse gauche avec de la crème puis je lui dis de s'allonger... il se trouve ainsi un peu mieux installer. Enfin je range ses jambes si douloureuses que je peux à peine toucher. Je glisse le traversin contre la barrière de manière à ce qu'il retienne un peu ses jambes. Je le recouvre de son drap que je remets en ordre et je lui glisse sa couverture... il est beaucoup mieux. Je lui fait un bisou et j'éteins tout. Il s'endort aussitôt sur quelques paroles incompréhensibles et se met à ronfler. Il dort à présent profondément.
Il est trois heures trente. Je pourrai presque aller dans mon lit... mais j'ai peur qu'il se retrouve perdu.