ARNOLD, MON PERE
Souvent, des images me reviennent.
Vingt huit ans, déjà
Et pourtant il me hante toujours,
Il est là.
Des odeurs de scierie me pénètrent
Les deux premières années de ma vie,
J’ai vécu près de lui
Dans son village d'Alsace, une maison
Près de la scierie où il travaille,
Mon père.
Il a des yeux bleus rieurs,
Un cœur tendre et bon,
Une bouche gourmande,
Et un flegme qui nous désarçonne,
Mon père.
J’ai quatre ans et il me tient la main,
Parmi les petits sapins de Parilly,
Il aime me faire rêver et imaginer ses forêts
Dans le Sundgau près de Bâle.
Souvent, nous partons en pique nique, avec lui,
Toute la famille réunie,
Entre les arbres du boulevard lyonnais,
Mon père.
Au bout de notre rue
Chantent les coquelicots
Et les soirs, la chaise retournée à l’envers,
Sur le trottoir de la rue,
Il capture les lucioles et le vol des hannetons,
Par des mots,
Il me conte des histoires de bêtes et de lune,
Mon père.
Une enfance malade, il me porte dans ses bras,
Il lave au savon noir, dans le baquet sur la planche,
Les liquettes, les chaussettes d’une marmaille
Qu’il étend sur la corde au soleil
Et repasse les vêtements de la semaine,
Il prépare les repas et les jours s’écoulent
Au rythme d’un travail acharné de doubles journées,
Mon père.
Pendant que je reste en chaise longue à bâiller
Car je ne peux rien faire seule,
Ni marcher, ni jouer, ni manger
Quand il y a, derrière, cinq bébés
Qui ont besoin de l’attention d’une mère,
D’un père.
Et attentionnés, ils le sont
En ces jours d’après guerre
Qu’il a faite durant cinq ans l’alsacien évadé
Pour ne pas supporter la honte d’être nazi
Le débarquement par le sud avec tous ses amis
Sénégalais, marocains, algériens,
Il était de ceux là, héros malgré eux,
Qui délivrèrent la France de son joug affreux,
Mon père.
Je me rappelle nos vacances dans le Sundgau
Nos promenades avec le saint Bernard,
Parmi ses montagnes,
Et nos balades sous les cerisiers,
Où tels des moineaux nous nous gavons
De leurs fruits mûrs avec délectation,
Et il orne mes oreilles
De ces cerises vermeilles
Quand revenus de nos escapades
Faisons bien rire grand père.
Comme j’aime ce pays, son village
Les cigognes sur les toits
Et dans les monts, l’écho de sa voix
Où il ioule une joyeuse tyrolienne,
Mon père.
Lorsqu’il m’apprend à dessiner
Des paysages de neige, des sapins
Reviennent les oasis qu’il a connus,
Autrefois dans cette guerre qui le hante,
Mon père.
Oui, je le revois souvent dans son jardin ouvrier
De Lyon La Mouche à Gerland
Cette parcelle de lui, de sa campagne,
De son Alsace, de sa terre
Qui lui collent aux semelles
Et qu’il aime et chérit tant
Comme ces légumes qu’il plante
Parmi ces roses qu’il greffe,
Lui le jardinier,
Mon père.
Je le revois aussi,
M’apportant mon petit déjeuner au lit,
Comme il est fier de me faire plaisir
De rendre heureuse sa grande fille,
Mon père.
Le cœur empli de fleurs et de bonté
Il a tout donné de lui,
Dans sa cabane, sous le figuier,
Il est tombé là parmi ceux là,
Les oiseaux et les chats,
Laissant encore derrière lui
Deux fils de quatorze et seize ans
Mon père.
Combattant et travailleur inlassable,
Amoureux de la terre,
De la vie, de ma mère,
Il n’a jamais démérité
Il était ce père,
Mon père.
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OFFRE MOI LE FLAMBEAU
Don du coeur
ouvrage de vie,
de tant de labeur
offre-moi le flambeau
et le transmettre mon tour.
Je m’en souviens encore, il y a cinq ans
de ta mort comme un printemps,
éclair foudroyant lorsque jaillit la vie.
Tu bêchais ce jour là,
ce douze février. Travailleur acharné
jusqu’au dernier jour, tu avais rempli ta journée.
Je me souviens de ma mère me rappelant
les détails du matin.
Et le soir, rassemblés autour de ces clafoutis
que tu avais préparés comme un ultime adieu,
alors seulement, je pleurais.
ADIEU
Quand la terre engourdie et gelée
de l’hiver sale, mouillée de fumier
se réveille doucement,
et qu’il faut semer les grains de l’été
tu t’es couché là,
parmi ceux que tu aimes
ils sont venus t’offrir leurs chants timides, leurs dons cachés
à pas menus tous te caressaient une dernière fois
la terre, les fleurs, les oiseaux et les chats.
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LIVRET DE PROSE N° 4 / La Maison Hirondelle : Dana LANG, 1987